[INTERVIEW] Brisa Roché : « Je crois que je suis assez hyperactive »

Le tout nouvel album de Brisa Roché, Invisible 1, sortira le 3 juin prochain. L’artiste franco-américaine revient, dans cette interview consacrée à BAM, sur sa musique, sa détermination, et la genèse de ce nouveau disque. Elle nous parle de ses challenges, de son envie de dépasser les barrières, de folk et de jazz, de chansons composées pour le cinéma, et de son désir toujours brûlant de création…

propos recueillis par Valentin Hoffman

Brisa Roché (© Adelap)
Brisa Roché (©Adelap, tous droits réservés)

BAM : Est-ce que vous pouvez nous expliquer vos premiers amours avec la musique ?

Brisa Roché : Je ne peux que vous raconter une petite anecdote qui m’est arrivée lorsque j’étais enfant et que l’on m’a racontée. J’avais deux ans et j’étais au restaurant avec ma mère. Il y avait une petite scène avec une femme qui chantait. Je me suis approchée de la scène, et j’ai dit clairement : « Je veux faire ça ! » Et la chanteuse m’a entendue, elle s’est arrêtée et elle m’a prise sur scène et m’a tenue au dessus du micro. J’ai chanté tout un morceau, une chanson d’enfant, que je connaissais. C’était peut-être ça le début (rires).

Qu’est-ce que vous avez finalement mis au point pour réaliser cette envie, bien plus tard ?

En fait c’est curieux. Je suis une personne très déterminée mais je ne regarde jamais trop loin dans l’avenir. Je me concentre très fortement sur ce que je suis en train de faire, et puis le reste s’enchaîne petit à petit. Au fur à mesure j’arrive progressivement à mon but, qui est plus loin, sans me paralyser. Si on regarde trop au but qui est à distance, on peut se décourager et se dire « je ne vais jamais y arriver, c’est trop loin ». En fait, je continue toujours dans l’action, le travail, le mouvement, et je réalise que j’arrive toujours quelque part. Ça marche plutôt bien comme ça, en tout cas pour moi.

« Je ne regarde jamais trop loin dans l’avenir. Je me concentre très fortement sur ce que je suis  en train de faire »

Initialement, vous aviez un lien étroit avec la musique jazz. Est-ce que vous pouvez clarifier davantage ce lien ?

C’est un lien assez mystérieux. Je n’ai pas grandi dans une famille qui écoutait ce genre de musique. Cela dit, je suis américaine et le jazz fait évidemment partie de notre culture. Sans le savoir, je m’étais imprégnée des standards jazz. Depuis très jeune j’écrivais de la musique. A treize ans j’avais ma première guitare et j’ai commencé à composer, mais avant je chantais déjà. Rapidement j’ai joué et chanté dans des groupes différents, et même dans la rue. Ce n’était pas encore du jazz, mais plutôt des musiques folks et indie. Et je suis devenue frustrée par tout ce que j’étais capable de faire mais que je ne faisais pas. J’étais jeune, je ne me défonçais pas. J’étais pâle, avec des cheveux longs, et je jouais de la guitare. Et du coup, tout ce que j’écrivais sonnait comme du folk. Même quand j’étais dans des groupes, je n’arrivais pas à faire techniquement le son que je voulais. On m’accolait une image de « pureté » qui ne reflétait pas du tout mes émotions et mon expérience, beaucoup plus « dark » et compliquées que ça. Il y a eu un moment où j’ai décidé que j’étais trop frustré par ce décalage, et que j’allais arrêter la musique. J’ai vendu ma guitare et mon ampli, et j’ai dit « c’est fini ». C’est à ce moment-là que je me suis retrouvé à chanter des morceaux de jazz. Et je me suis dit : « ce serait intéressant de pénétrer dans le monde masculin et assez hermétique, particulièrement aux Etats-Unis, du jazz ». Je me suis lancée dans ce challenge, mais je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus profond et plus philosophique que ça. Quand je suis venue en France, quelques temps après, je n’avais pas d’argent. J’avais un projet qui ne s’est pas réalisé, et la seule façon que j’avais de gagner ma vie, sans papiers, c’était de faire du jazz. Et puis ma vie a été transformée par la philosophie de cette musique, une philosophie de mise en danger, d’exploration et de liberté. C’était mille fois plus intense et transformateur que j’aurais pu l’imaginer.

Brisa Roché
Brisa Roché : « On m’accolait une image de ‘pureté’ qui ne reflétait pas du tout mes émotions et mon expérience, plus sombres et plus compliquées »

En fait, beaucoup pensent que vous avez fait vos débuts dans le jazz. Mais à l’origine, c’était plutôt la musique folk…

Oui. En France beaucoup me disent « oui, tu as commencé dans le jazz… ». Mais c’est complètement faux. J’avais déjà commencé une vie de musique, bien avant le jazz. Ce qui est vrai, par contre, c’est l’effet transformateur qu’a eu cette musique sur moi, et je garde encore maintenant un jardin secret dans le jazz, qui m’est très cher. J’ai d’ailleurs une voix totalement différente pour cette musique. J’espère bien un jour pouvoir faire un album de jazz.

On ressent quand même une influence plutôt jazz dans votre musique, surtout dans vos premiers albums…

Non, pas du tout ! Je vous coupe directement. Tout le monde pense ça parce qu’il y a une blue note et une trompette. Mais à part ça, en tout cas pour moi, il n’y a pas une trace de mon jazz, de ma sensation du jazz (vocal ou philosophique), sur mes albums perso.

Du coup, qu’entendez-vous précisément par « faire un album jazz » ?

Quand tu fais un album ça peut prendre plein de formes différentes. Une des choses que je préfère dans le jazz, et qui est pour moi quelque chose de très libérateur, c’est de ne pas reprendre de morceaux à moi. Même si aujourd’hui on a pas trop d’intérêts à faire un album sans ses propres compositions, puisque le seul moyen avec lequel gagner sa vie ce sont les droits. L’album jazz, pour moi, cela pourrait évoquer deux choses : la liberté de reprendre des standards existants avec la liberté du vrai jazz et d’un vrai live, et faire ensuite une sorte de compilation ; ou bien alors composer des morceaux à moi, avec ma voix jazz, qui sonneraient un peu comme des standards et qui seraient sublimement arrangés, mais où l’on ne retrouverait pas forcément la liberté de l’esprit jazz.

Outre votre amour pour le jazz, on compte dans votre carrière une participation à la bande-originale du film Yves Saint-Laurent. Comment vous êtes vous retrouvée à faire partie de cette aventure ? Cela semble éloigné de ce que vous avez l’habitude de faire, non ?

Non, j’écris beaucoup sur l’image. On me demande d’écrire dans tous les sens. J’ai des ingés sons, des amis, des producteurs, des réalisateurs, qui me demandent de faire tout un tas de choses différentes et d’être créative, notamment sur l’image. Pour Yves Saint-Laurent, j’ai entrepris toute la production sans garantie que j’allais pouvoir passer les morceaux. Ça c’était un peu risqué ! J’ai écrit les morceaux sur le scénario. Il n’y avait pas encore d’images. Je regrette seulement d’avoir mis ma propre voix sur ces morceaux parce qu’on pourrait imaginer, en effet, que c’est comme cela que je chante le jazz alors que ce n’est pas vrai. C’était des commandes, et un travail de production. Ce n’est pas du tout un reflet de moi en tant que chanteuse de jazz. J’avais composé quatre morceaux et seulement deux ont été retenus, et ce n’était pas mes favoris. Il faut savoir que ce qu’ils recherchent ce sont des morceaux plus « téléphonés« . Je pense que les deux autres étaient peut-être plus profonds. Mais je vais quand même faire quelque chose avec.

Pour en venir à Invisible 1, l’album que vous sortez début juin, il y a quelque chose qui le distingue de vos précédents. Est-ce que vous sauriez expliquer cette différence ?

Je dirais que c’est le fait que j’ai fait toutes les voix chez moi et que, par conséquent, cela a créé une sorte d’intimité, sans pressions et plus détendue. C’est vraiment différent que d’enregistrer en studio, comme je l’avais fait par exemple dans l’album précédent.

Vous semblez aussi vous détourner, en quelques sortes, de la veine folk. Il y a par exemple une dimension beaucoup plus électro dans ce nouvel album…

En fait, il faut que je vous explique les débuts de cet album. Je reçois souvent des pistes de personnes avec qui je travaille, d’amis, ou de fans, par exemple. Mais ce ne sont pas forcément des musiques qui vont dans mon sens artistique, et je ne fais rien avec tout ça. Mais je me suis dit que ça serait finalement intéressant d’accepter, pour le challenge, tous les morceaux qu’on m’enverrait et de voir comment je pouvais me les approprier, même si ce ne sont pas des directions qui me sont naturelles. J’ai mis de côté tout jugement, et finalement j’ai fait quarante morceaux, et je me suis éclatée ! Il fallait forcément que j’en fasse un album. C’est pour ça qu’il s’appelle Invisible 1 : je pense en sortir un deuxième avec d’autres pistes. Il y avait donc un vrai désir de me laisser aller dans n’importe quel style, n’importe quelle ambiance.

« Je me suis dit que ça serait finalement intéressant d’accepter, pour le challenge, tous les morceaux qu’on m’enverrait et de voir comment je pouvais me les approprier »

Et le nom de l’album lui-même, Invisible, pourquoi ?

En fait c’est justement parce que je recevais les pistes d’origine sur le net, et je n’étais face à personne. Et parfois c’était même des gens que je ne connaissais pas, et que je n’avais jamais vu. En plus, j’ai travaillé dans une totale invisibilité : dans ma chambre, sans que personne ne me regarde, et sans connaître les autres participants. Vers la fin, mon co-producteur m’a proposé deux personnes pour s’occuper des arrangements et eux aussi ont ajouté une couche d’idées et leur propre direction à l’album. C’est un disque fait dans l’invisibilité, et construit comme avec des légos.

© Marie Magnin, tous droits réservés
© Marie Magnin, tous droits réservés

En fait, beaucoup de personnes ont participé à la construction de cet album. De quoi parlent finalement les chansons ?

De plein de choses différentes. Des relations hommes/femmes, souvent. Et puis il y a une dimension probablement très sensuelle.

Oui, c’est ce que l’on ressent. L’album commence avec des chansons assez calmes, mais empreintes d’une certaine sensualité. Puis il vire presque à la musique dance, avec un petit côté provoc en fin d’album. Comment est-ce que vous avez défini l’ordre de vos chansons ?

Le tracklisting c’est toujours un puzzle. Il n’y a pas de parti-pris poétique ou de message dans l’ordre des morceaux. C’est très dur de faire un tracklisting, et encore plus quand les musiques sont complètements différentes. Je voulais juste éviter de mettre côte à côte deux pistes qui se ressemblaient. Mais, en effet, il y a des morceaux provoc et d’autres plus sensuels.

Vous touchez donc dans cet album à plusieurs styles musicaux, comme vous l’avez expliqué. On en vient donc à l’incontournable question : quelles sont vos influences musicales, et artistiques ?

Tout ! Je n’ai pas grandi dans la pop culture, ou dans la culture rap et RnB. Mais je me suis laissé faire et me suis même surprise parfois dans mes propres vocalises, qui rappellent peut-être Destiny Child. C’est drôle, mais d’habitude je m’interdirai ça. Je ne suis pas black, ce n’est pas ma culture, je  ne suis pas une ado, je n’habite pas Los Angeles. Pourquoi est-ce que je ferai cela puisque ce n’est pas mon histoire ? Et je me suis rendu compte que oui, c’est mon histoire. Comment ne pas être touchée par cette culture qui est omniprésente dans le monde ? Et pourquoi est-ce que je m’en priverais ? C’est un peu le contraire du monde indie, d’où je viens à la base, mais j’aime bien  ce côté un peu provoc à vouloir contourner les barrières. J’aime être à contre-pied de la définition que l’on me donne.

Vous êtes en fait une artiste extrêmement créative. Vous créez mêmes vos habits et vous avez même conçu la pochette d’un de vos albums…

De tous mes albums, même.

Vous avez d’autres projets de création ?

Oui. Je peins beaucoup, sur grand format. Je pense d’ailleurs faire une expo à Paris cet été, ou à la rentrée. Ces dernières années, j’ai eu énormément de projets musicaux, et je compte également sortir ces choses-là. Et il y a aussi un livre de poésie, en anglais, sur lequel j’ai énormément travaillé, et que j’aimerais bien publier. Je crois que je suis assez hyperactive !

Comment est-ce que vous faites pour gérer votre temps, entre votre vie privée (puisque vous êtes aussi mère de famille) et vos projets artistiques ?

C’est impossible ! Entre nous, être artiste et maman, c’est extrêmement difficile. J’ai besoin de ma création. J’ai besoin de mon travail. En soi, mon art est comme un petit enfant. Ce qui fait que quand je ne suis pas assez présente pour mon réel enfant, je me sens coupable. Et quand je ne suis pas assez présente pour mon travail et ma création, je me sens aussi coupable. Donc, en gros, les mères-artistes se sentent constamment… coupables ! Je ne parle pas que pour moi, mais pour toutes les artistes qui sont aussi maman. Je pense que c’est moins compliqué pour les pères. C’est sûrement physiologique.

Quel mérite, en tout cas !

Je pense que je vais mourir jeune ! (rires)

Brisa Roché

Vous avez une tournée prévue pour promouvoir l’album ?

Oui, ça a même déjà commencé. On a déjà pas mal de concert programmés, et des dates vont se préciser une fois que l’album sera sorti. Vous savez, les salles doivent voir comment le public et les médias réagissent à la sortie d’un album avant de se lancer. On doit avoir une douzaine de dates déjà prévues mais je pense que dès la sortie de l’album, la tournée devrait se construire encore plus facilement.

Des tournées en France et aux Etats-Unis ?

Cet album va sortir aux Etats-Unis ce qui n’était pas le cas pour mes précédents albums. J’espère donc pouvoir tourner également aux Etats-Unis, mais une fois encore il faudra attendre de voir si quelque chose se passe avec l’album là-bas. Le territoire principal reste tout de même la France, et nous aurons pas mal de dates ici.

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